Lancé en janvier 2018 à Nantes, le programme d’incubation NMcube accompagne 7 entreprises dans le secteur des médias. Entre ateliers, formations et coaching personnalisé, comment les porteurs de projet vivent-ils leurs premiers pas dans l’incubateur ?
Il y a d’abord les projets qui ont la spécificité d’être en phase d’ante-création. C’est le cas de Newzer, marketplace de l’info locale et de MusicData, plateforme de découverte des musiques actuelles.
« Pour nous qui sommes en mode “pré-startup”, NMcube est propulseur et nous permet d’accélérer la définition du concept et la formalisation du projet » expliquent Pierre Dickinson et Gaëlle Barrier, fondateurs de MusicData.
Pour d’autres, qui ont déjà lancé leur projet, l’expérience est différente. C’est le cas de Xavier Cadeau qui a fondé son blog sur le vélo urbain en 2008. En 10 ans, Weelz est devenu un web magazine de référence sur le sujet et son auteur est passé de blogueur du dimanche à “leader de pignon”. Comme d’autres incubés (Euradio, PressPepper, FootAmateur…), son média tourne déjà depuis un bon moment. Ses attentes en termes d’accompagnement portent donc davantage sur le modèle économique. « J’ai besoin de savoir où je vais et quelles sont les prochaines étapes. »
En parallèle, Xavier Cadeau assure une activité de formation dans le web. Il a donc la tête dans le guidon et peine parfois à trouver du temps pour cette prise de recul impulsée par le programme d’incubation. « J’ai du mal à avancer sur le projet en lui-même et à faire monter le média en puissance. Je suis trop dans l’opérationnel et je me retrouve souvent confronté à un problème organisationnel. » Les coachs côté Audencia et Ouest Médialab sont justement là pour l’aider sur ce point.
Pour Pierre-François Caillaud, co-fondateur de Grabuge, un agenda et magazine culturel nantais, « chaque journée passée sur le programme NMcube, c’est du temps en moins pour prospecter des annonceurs et rédiger des articles. Néanmoins, ça vaut quand même le coup. Les premiers mois nous ont déjà permis de repenser notre stratégie numérique. »
Même constat pour Guillaume Frouin : « ça prend beaucoup plus de temps que ce que je l’imaginais, sans compter le travail à faire en plus après les ateliers » constate-t-il. Suite à un atelier proposé par NMcube, le fondateur de PressPepper, agence de presse spécialisée dans la chronique judiciaire régionale, a envoyé un questionnaire à de nouveaux clients pour dresser un état de l’art et ainsi mieux positionner son offre. Il a dû caler des rendez-vous, dérusher ses interviews, les coucher sur le papier, les partager avec ses collègues… Mais n’est-ce pas le prix à payer pour remettre à plat son modèle économique et assurer son développement à long terme ?
« On apprend à ne plus subir le temps »
L’acquisition d’une méthodologie pour avancer de manière plus efficace a été très appréciée du côté d’Euradio. Laurence Aubron, la fondatrice de la radio associative nantaise et Hélène Lévêque, chargée de communication, sont notamment sorties de l’atelier « Gestion de projet informatique » avec une méthodologie de travail qu’elle se sont empressées de mettre en place au sein de leur association. « Chez Euradio, le travail d’équipe est très important, tout comme la coordination entre la rédaction et les fonctions supports. » explique Hélène Lévêque. « On travaille beaucoup en mode projet et cette méthode nous permet de mieux calibrer les besoins qu’on va mettre en ressources humaines. » Selon Laurence Aubron, cette approche va permettre de gagner en efficacité : « on ne voyait pas comment on fonctionnait les uns et les autres. Maintenant, on sait et on apprend à ne plus subir le temps. »
Guillaume Frouin raconte : « J’avais lancé les antennes locales de PressPepper à Caen et à Rennes un peu au feeling. Maintenant, je peux faire les choses sans laisser la place au hasard. »
Apprendre à douter et à se faire confiance
NMcube, c’est aussi une remise en question permanente. Des moments de doutes. C’est confronter son projet à des regards d’experts, tester sa viabilité et accepter de laisser derrière soi toute certitude pour faire évoluer son projet.
« Ce programme d’incubation nous aide à structurer et à valider les étapes »
Les deux fondateurs de MusicData racontent avoir gagné en confiance. « Notre coach, Sébastien Ronteau, directeur de l’incubateur Centrale-Audencia-Ensa, nous a accompagné de façon très intense et très précise sur des rendez-vous très ciblés. Sa mobilisation sur le projet nous a permis d’avancer sur le business model. » explique Gaëlle Barrier. « Pour nous, NMcube est une chance, une opportunité, un accélérateur même si on a énormément de pain sur la planche pour faire maturer notre idée. Ce programme d’incubation nous aide à structurer et valider les étapes. » Objectif pour les deux fondateurs : avoir sorti un premier service ouvert au grand public dans les prochains mois et valider au plus vite la solution professionnelle.
Pour Pierre-François Caillaud, de Grabuge, « ce programme d’incubation permet de prendre du recul, de se poser des questions qu’on ne se seraient pas posées avant, notamment sur le positionnement et ce qui nous différencie fondamentalement des autres gratuits culturels. »
« En deux mois et demi, ma proposition de valeur a évolué. »
Même son de cloche pour Jérôme Bouchacourt, fondateur du site FootAmateur lancé en 2014. « Depuis deux mois et demi, j’ai complètement revu le projet. Je ne veux pas aller sur ce que font les autres. Ma proposition de valeur a évolué. » Jérôme continuera de traiter les résultats des matchs le week-end. « C’est un contenu qui a de la valeur ajoutée, notamment parce qu’on a accès aux feuilles de matchs informatisées, qui permettent de connaître les compositions des équipes, les buteurs etc. Mais la semaine, j’aimerais aller davantage sur du traitement magazine. Je souhaite aussi parler du foot amateur sous un angle sectoriel pour mettre en lumière les problèmes rencontrés par les clubs et les solutions à leur apporter pour y faire face. En clair, garder la partie B to C mais développer la partie B to B. »
« Il y a eu un effet NMcube sur mon comportement, par rapport au projet. » constate ce journaliste sportif qui a pris le temps, entre deux matchs, de repositionner le projet et son modèle économique.
L’émulation collective entre incubés
« On échange beaucoup entre incubés, il y a une vraie cohésion dans le groupe et ça pour nous, c’est très moteur » se réjouit Gaëlle Barrier. Entre “pré-startups”, MusicData et Newzer ont d’ailleurs échangé des retours d’expériences très poussés.
De son côté, Jérôme Bouchacourt, de FootAmateur, raconte avoir lancé l’idée d’un partenariat gagnant – gagnant avec le fondateur de Newzer. Grégoire Even a pour projet de former une dizaine de vidéastes amateurs appartenant à la communauté de FootAmateur afin de leur expliquer comment raconter des histoires en vidéos autour de match de foot.
La cohésion de groupe est très forte dans cette première promotion d’incubés. « On se dit réellement les choses. Il y a une espèce de confiance qui s’est créée tout de suite et il n’y a pas de trouille de livrer ses problématiques. » explique Laurence Aubron, fondatrice d’Euradionantes.
Des échanges, sans filtres donc, probablement favorisés par la diversité des projets et des supports (radio, web, vidéo…). « Ce qui est intéressant, c’est d’être avec des gens qui ne travaillent pas dans l’urgence ou dans le hard news comme moi. Il n’y a pas de concurrence entre incubés, ce qui nous permet d’avoir un regard frais et bienveillant les uns sur les autres » explique Guillaume Frouin, fondateur de l’agence PressPepper.
Pour Xavier Cadeau, éditeur de Weelz, cette émulation entre projets pourrait même être poussée davantage. « On l’avait évoqué à un moment, qu’il faudrait s’entraider les uns les autres, accepter de se faire l’avocat du diable, de pousser l’autre dans ses retranchements. »
« On n’a pas mis en place de partenariat avec d’autres incubés pour l’instant mais moi c’est ce dont j’ai envie » exprime la directrice d’Euradio. « Il y a des interactions et des choses à croiser. Pour être claire, on pourrait tous se rejoindre sur un projet commun. »
Réviser ses fondamentaux et chercher l’inspiration
Côté formations et ateliers, les incubés ont déjà appris à pitcher, notamment pour présenter leur projet lors de la soirée de lancement de l’incubateur, qui avait réuni une centaine de curieux en janvier dernier. Le lendemain, c’est en compagnie d’Eric Scherer, directeur de la Prospective à France Télévisions et d’Alexandre Brachet, fondateur d’Upian, qu’ils assistaient à leurs premières masterclass sur l’innovation dans les médias. Dans cette interview réalisé par Fragil, Guillaume Frouin raconte notamment comment il a vécu l’atelier de l’après-midi, qui consistait à piocher une technologie au hasard (SnapChat, Chatbot) et à imaginer avec les autres incubés son potentiel au regard du projet. Ce jour-là, le journaliste spécialisé en chronique judiciaire régionale a pioché la carte “réalité virtuelle”, à des années lumière de son métier. Et pourtant…
Les incubés se sont initiés à la gestion de projet informatique avec des enseignants chercheurs de l’Ecole d’ingénieurs de l’Université de Nantes et au management de projet avec Audencia. Ils ont aussi participé, en deux mois d’incubation, à trois ateliers en groupe animés par Nicolas Viguier, co-fondateur d’Actyvea et intervenant pour la Creative Factory By Samoa. Objectifs de ce moment clé du programme : définir la proposition de valeur du projet, ses cibles et son marché et enfin, son modèle économique.
Les dernières formations en date portaient sur la prospective média, avec Benoît Régent, directeur du Département Change Prospective de Dentsu Consulting en France et les médias sociaux.
Cette session a notamment retenu l’attention de Jérôme Bouchacourt, qui raconte avoir expérimenté le week-end suivant la formation toutes les bonnes pratiques inculquées par les intervenants. Parmi eux, deux professionnels des médias : Jonathan Le Borgne, Social media Manager chez Ouest-France et Claude Bouchet, éditeur web chez France 3 Pays de la Loire. Résultat des courses : « on a cartonné, on a fait des vidéos à plus de 10 000 vues. On va davantage partager des vidéos natives sur les réseaux sociaux. J’ai commencé à faire une note que je vais envoyer à tous mes correspondants. » raconte le journaliste, qui souligne au passage l’intérêt d’avoir bénéficié de différents points de vue durant la formation.
C’est aussi cela, l’objectif de l’incubateur NMcube : « En plus de nous accompagner sur notre projet et de nous aider à le formaliser, l’incubateur nous ouvre à différents points de vue pour expérimenter efficacement » résume Gaëlle Barrier, co-fondatrice de MusicData.